« Le systémicien est un véritable clinicien de la relation. Il réduit la complexité des situations sans la dénaturer »
TRIBUNE
Collectif
Une cinquantaine de députés et d’experts, parmi lesquels le neurologue Boris Cyrulnik, le psychiatre Robert Neuburger, la psychologue systémicienne, Claude de Scorraille, et le thérapeute systémicien Grégoire Vitry, président et directeur général de LACT invitent les pouvoirs publics, dans une tribune au « Monde » à mettre « la relation » au cœur de la santé mentale et de la société.
A l’heure où l’homme n’a jamais autant communiqué, il n’a jamais autant souffert d’isolement social. Avec des outils de communication de plus en plus puissants, l’homme est devenu un technicien habile, rapide, expert et performant qui focalise son attention sur la croissance de ses outils et néglige son contexte relationnel et ses besoins humains fondamentaux.
Il est devenu outil parmi les outils, élément de machines dans une espèce de taylorisme de la communication. Il ne s’est pas isolé volontairement, il a construit la prison qui l’enferme à présent, isolé par une sorte de séduction, d’appropriation, de matérialisme et ce dans un système compétitif. Il cesse d’être en priorisant l’avoir.
Les relations d’appartenance dysfonctionnelles dans le couple, dans la famille, au travail, les relations toxiques, le harcèlement, le burn-out, la dépression, les suicides, la schizophrénie, les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) ce qu’on lie à des pathologies mentales sont bien souvent, au-delà des vulnérabilités de chacun, des maladies qui s’installent et se déploient dans une dynamique relationnelle avec le système culturel, l’école, le travail et famille.
Chercher d’autres causes et d’autres pistes
Les effets du confinement nous ont montré combien les relations sont au cœur de la santé mentale car, si l’homme est un animal rationnel, il est avant tout un animal relationnel. L’homme de ce début de XXIe siècle s’est isolé et vit toutes les conséquences de cet isolement subi : perte de repères, consommations addictives… La quantité l’emporte sur la qualité.
Cette spirale de l’isolement, emballée par la pandémie, nous met face au constat d’une explosion des cas de dépression et des tentatives de suicide avec plus d’un Français sur quatre qui montre des signes de troubles anxieux d’après Santé publique France dans une
étude d’octobre 2021. Devant ce triste constat, les politiques publiques multiplient les directives au secteur de la psychiatrie à bout de souffle et de moyens. Mais la clef du changement rendant possible la résilience, ne serait-elle pas ailleurs ?
Prenons la posture du systémicien et faisons un pas de côté… Notre culture, notre éducation ont façonné un mode de réflexion causal. En cherchant à savoir où réside une difficulté dans une perspective causale comme dans un diagnostic médical ou dans une action juridique, on prend le risque d’isoler le problème, de le médicaliser, de le judiciariser, de le placer dans une discipline silo, et de finir par le placer dans une perception rigide appauvrissant les modalités d’un traitement opératoire fonctionnel.
Un sujet tabou dans le milieu de la santé mentale
Or, les problématiques de santé mentale, de qualité de vie au travail, d’éducation ou de conflits sont, bien souvent, plus complexes que ça et nécessitent de considérer avant tout la relation entre l’individu et son contexte. L’approche systémique permet d’intervenir efficacement car elle prend pour unité d’analyse la relation. Le systémicien est un véritable clinicien de la relation. Il réduit la complexité des situations sans la dénaturer.
Or, les recherches menées depuis plus cinq ans sur une population de 1 150 patients montrent une efficacité de plus de 80 % en termes d’amélioration et de résolution de problème avec une moyenne de 5,4 séances et 5,3 mois. Ces résultats sont importants car il s’agit maintenant, face à l’explosion des troubles de santé mentale, de trouver des réponses efficaces rapidement.
Mais la question de l’efficience, étroitement liée aux dépenses publiques engagées, est un sujet tabou dans le milieu de la santé mentale. Lors du débat sur la santé psychique mené à l’Assemblée nationale le 2 février, ni l’évaluation des politiques en santé mentale ni l’efficience n’étaient abordées.
Une remise en cause des pratiques
En 2022, plus de deux millions de professionnels, médecins, psychologues, infirmiers, professionnels de santé, éducateurs, assistantes sociales, dirigeants, coaches, enseignants, professeurs, chercheurs, avocats, médiateurs… sont concernés de près par le monde de la relation et de la relation d’aide…
Or, il n’existe que très peu de cursus de formation en systémie (DU, DESU, Master clinique, éducation, entreprise, médiation et justice) alors que l’approche nécessite une formation de trois à cinq ans minimum. La systémie nécessite une remise en question de nos pratiques dans les champs d’une santé mentale institutionnalisée et médicalisée, de l’éducation, de l’entreprise et de la justice. C’est un chantier structurel, intellectuel, politique, économique.
Mais en termes de coûts, combien coûte un jeune laissé à la dérive ? Combien coûtent les arrêts de travail pour dépression ou burn-out ? L’intervention et la prévention systémique, approche globale de la santé, permettent d’éviter que ces situations ne s’enkystent dans des problématiques longues et douloureuses pour l’individu et ses proches, coûteuses pour la société. Mais où en est-on de son enseignement et de son déploiement ?
Intégration de la systémie dans les cursus universitaires
Depuis des dizaines d’années, des solutions sont proposées : conseils locaux de santé mentale au niveau des communes, équipes systémiques volantes, créant les liens indispensables entre les acteurs de l’environnement du patient (santé mentale, police, justice, emploi, logement, social, famille), mais il s’agit d’initiatives locales voire associatives.
Ce mouvement vers une approche préventive, globale et non-pathologisante de la santé mentale touche différents pays. Regardons les réformes de la psychiatrie au-delà de nos frontières, en Grande-Bretagne, en Italie, en Australie, en Finlande.
Dans ce but de changement, les praticiens en systémie demandent la reconnaissance de leur métier et de leurs compétences, l’intégration de la systémie dans les cursus universitaires, dans l’éducation, la santé, dans le domaine de la justice, dans le domaine de l’entreprise. Car selon Albert Einstein, « on ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré. »
Liste complète des signataires : Le LACT, représentant l’Ecole de Palo Alto, est un centre d’intervention, recherche et formation, spécialisé dans la régulation systémique des troubles individuels ou collectifs.
Le Congrès annuel inter-universités et écoles sur « Les métiers de l’approche systémique » se tiendra le jeudi 23 mars 2023.